L'indifférence est-elle un mal nécessaire pour se blinder des attaques du monde extérieur ? Peut-être. Mais faut-il pour autant être indifférent au malheur de ceux qui nous entourent, que l’on connaît peut-être, qu'on se refuse à voir, en général. Le contexte économique actuel crée de plus en plus de marginaux, d'exclus qui n'ont pas leur place dans notre société capitaliste. Faute de diplômes, faute de belle gueule… Dès le départ, le destin leur a fait cadeau du pire. Attention, ces marginaux-là n'ont rien à voir avec les bandes organisées de romanos qui fleurissent à tous les coins de rues des grandes villes et de la capitale, et tentent d'apitoyer les passants en exhibant telle une curiosité de cirque un enfant handicapé (qu'ils ont pris soin de mutiler eux-mêmes à la naissance), ou en se faisant passer pour une vieille femme tremblotante. Nos marginaux sont beaucoup moins exotiques. Mais leurs histoires sont souvent beaucoup plus banales, si ce n'est la faille en plus. Jetés dehors à 14 ou à 16 ans parce qu'aînés de familles nombreuses désargentées… Expulsés de chez eux suite à un divorce ou à la perte d'un emploi… Retraités presque sans ressources, qui, après avoir vécu chichement, n'ont pas d'autre moyen que de faire la manche pour pouvoir manger à leur faim tous les jours…
Avez-vous jamais, amis lecteurs, jeté un regard aux habitants de nos rues ? Y-a-t-il encore une lueur d'espoir dans leurs yeux qui s'éteignent peu à peu ? A quoi pensent-ils, toute la journée, sur leur carré de trottoir, sur leur marche à proximité d'un grand magasin ? Sont-ils eux-mêmes indifférents à leur propre sort ? S'inquiètent-ils de savoir s'ils trouveront un endroit pour dormir, une soupe chaude pour tromper la faim qui les tenaille toute la journée ? Amis lecteurs, à quoi pensez-vous lorsque vous les voyez ? Un de plus, un fainéant, un parasite, un ivrogne ?
Ou vous dites-vous que c'est un être humain, aussi, comme vous, comme moi… Quelqu'un qui a peut-être une famille quelque part. Quelqu'un de “normal” seulement quelques mois, quelques années auparavant. Quelqu'un qui comme nous, a eu un jour dans sa poche les clés d'un appartement, d'une maison, d'un endroit à lui. Quelqu'un qui n'avait pas de raison de s'inquiéter du lendemain. Quelqu'un qui dormait dans un vrai lit, au chaud, et qui mangeait à sa faim. Quelqu'un qui avait des amis, peut-être… Une vie qui pourrait ressembler à la nôtre…
Si je vous parle d'indifférence, aujourd'hui, amis lecteurs, c'est parce qu'un SDF est mort ce vendredi 31 janvier à 100 mètres de chez moi. Il n'a pas de nom, pas de papiers, pas de visage. Pas d'âge. Personne ne sait d'où il vient, personne ne se préoccupe de son sort. A-t-il des enfants ? A-t-il encore ses parents ? Nul ne le sait et ne le saura sans doute jamais. On ne lance pas des enquêtes longues et coûteuses pour donner un nom à un SDF. Le journal local lui a accordé son heure de gloire. Mais il finira dans la fosse réservée aux indigents. Ni croix, ni plaques, ni fleurs…
Si je vous parle d'indifférence, aujourd'hui, amis lecteurs, c'est parce qu'on ne peut pas savoir ce que demain nous réserve, quel que soit notre statut social actuel. Parce que nous ne nous rendons pas compte que ce que nous avons est un luxe pour la majorité des habitants de notre planète. Parce que le destin peut nous jouer un mauvais tour, et qu'un jour nous pouvons être à la place de cet homme, mort sur le trottoir d'une grande ville par un après-midi neigeux d'hiver. Il n'est pas nécessaire de faire partie d'une association pseudo humanitaire à la gestion souvent douteuse pour distribuer un peu de bonheur autour de soi. Alors, lorsque nous le pouvons, offrons à l'un des habitants de nos trottoirs un petit rayon de soleil pour éclairer le tunnel long et sombre de sa journée : un euro, un sandwich, une viennoiserie, une part de pizza… Quelque chose qui lui redonne un peu d'espoir en l'humanité. Qui lui prouve que ses semblables ne sont pas tous froids et indifférents…